Enquête : Faut-il nécessairement augmenter les places de stationnement pour redynamiser les centres-villes ?

Rejetée par les uns, plébiscitée par les autres, la place de la voiture dans les centres-villes n’a jamais fait autant débat. Les commerçants semblent avoir choisi leur camp, convaincus pour la plupart d’entre eux que plus de voitures égal plus de clients. Qu’en est-il dans les faits ? Décryptage.

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Dessin de Michel Szlazak.

«No parking, no business ». Le slogan de Bernardo Trujillo, gourou de la grande distribution dans les années 1970, est toujours en vogue aujourd’hui auprès de nombreux commerçants français, notamment pour ceux installés dans les centres-villes. La dernière enquête réalisée par  CCI France et le Conseil du commerce de France est d’ailleurs là pour en attester. Interrogés sur la question de la revitalisation des centres-villes, et sur leurs attentes vis-à-vis de leurs élus locaux, les commerçants citent en premier la nécessité de résoudre la problématique du stationnement. A l’inverse, ils ne sont que très peu à réclamer une amélioration des transports en commun, alors même que les politiques de la ville ont particulièrement mis l’accent sur ce sujet des dernières années.

Et pour cause, malgré la révolution des transport en commun, la voiture reste encore reste aujourd’hui le moyen de déplacement privilégié des Français. Mais est-elle toujours indispensable au dynamisme du commerce de centre-ville ? Plusieurs experts apportent leur éclairage.

Les piétons et les cyclistes dépensent en moyenne plus que les automobilistes

« C’est impossible de trouver une place libre en centre-ville », « le parking est beaucoup trop cher » ou encore « je préfère aller au centre commercial, au moins là-bas je n’ai pas de problème de parking ». Autant de phrases que tout commerçant installé en ville a au minimum entendues une fois au cours de l’année écoulée. Si ce n’est durant le dernier mois… « 100 % des râleurs sont des automobilistes frustrés », se plaît à dire Glenn Castanheira, commerçant et responsable politique à Montréal.

À l’inverse, il faut le reconnaître, peu de consommateurs entrent en magasin en se félicitant de la qualité des transports en commun ou de la nouvelle piste cyclable. Et pourtant les enquêtes menées en Europe et en Amérique du Nord sont catégoriques : contrairement aux idées reçues, les clients les plus rentables ne sont pas les automobilistes.

Les résultats de l’étude référente menée en France sur le sujet montrent en effet qu’un automobiliste dépenserait en moyenne 27% de moins qu’un piéton, 12% de moins qu’un cycliste et 3% de moins qu’un usager des transports en commun. « Ces chiffres peuvent paraître surprenant pour les commerçants, mais ils s’expliquent du fait que les piétons et cyclistes dépensent effectivement moins, mais ils reviennent plus régulièrement, d’où un panier moyen qui est plus élevé à la fin », explique Sébastien Bourdin, enseignant-chercheur en géographie-économie. Sans compter que contrairement aux automobilistes, leur présence dans l’espace public est indolore, dans la mesure où ils ne produisent pas un surplus de bruit ou de pollution.

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Les effets bénéfiques de la piétonnisation

« Les gens viennent en ville car ils ont envie de se promener dans un cadre agréable, avec de la végétation, des grands espaces piétons où ils n’auront pas à s’inquiéter de la sécurité de leurs enfants », analyse Anne Faure, urbaniste et présidente de l’association de protection de l’espace public Rue de l’Avenir.

Sans oublier que les voitures sont aussi une gêne pour la visibilité des commerces. « Une rue remplie de voitures garées, c’est autant de vitrines qui sont cachées, et de l’espace piéton en moins pour du trafic devant votre magasin », rappelle Olivier Razemon, journaliste et auteur du livre « Comment la France a tué ses villes ». Alors qu’à l’opposé, les différentes études d’impact montrent qu’à la place d’une voiture peuvent stationner 10 bicyclettes, soit jusqu’à 10 fois plus de clients potentiels !

Les effets bénéfiques de la piétonnisation et du développement des transports en commun sur le trafic du centre-ville ne sont d’ailleurs plus à démontrer, notamment au sein des grandes agglomérations. Strasbourg, Toulouse, Bordeaux, Nice, Lille… autant de villes qui ont vu l’activité économique se décupler suite à la piétonnisation de leur cœur de ville. « Lorsque l’on piétonnise, on observe également un phénomène de multiplication de commerces d’équipement de la personne et de la maison, ainsi que l’arrivée d’enseignes locomotives qui renforcent l’attractivité de la rue. Un véritable cercle vertueux se met en place », poursuit Anne Faure.

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La voiture a encore son mot à dire

Les revendications des commerçants pour améliorer l’accès des voitures aux centres-villes seraient-elles donc non fondées, et même contre-productives ? Les différentes études tendent à l’affirmer, encore faut-il prendre en compte la particularité du territoire français. « La France a conservé une forte ruralité en comparaison à d’autres pays européens, explique Olivier Razemon. À cela s’ajoute le fait que l’étalement urbain n’a fait que s’accélérer ces dernières décennies, le centre-ville est donc de plus en plus éloigné ». Dans ce contexte, la voiture reste encore un moyen de déplacement indispensable.

Une récente étude du cabinet Boston Consulting Group montre en effet qu’en France, la voiture arrive en tête tant pour se rendre sur son lieu de travail ou d’études (67%), que pour aller faire ses courses alimentaires importantes (86%) ou encore emmener ses enfants pour leurs activités quotidiennes (69%). Et plus d’un Français sur quatre ont le sentiment d’être « un peu trop loin de tout », une moyenne qui grimpe à 46% chez les habitants de zones rurales.

Un récent rapport du GART (Groupement des Autorités Responsables de Transport), qui soutient pourtant le développement des mobilités alternatives, reconnaît cette dépendance à la voiture. « Qu’on le veuille ou non, elle est et elle restera pour longtemps encore le mode de déplacement avec lequel les autorités locales devront compter », explique le groupement. Poursuivant par ailleurs : « Dans les petites et moyennes villes, la voiture est indispensable au dynamisme du commerce. Si on décide de rendre la vie impossible aux automobilistes, ils auront vite fait d’aller dans le centre commercial périphérique ».

De nouvelles alternatives émergent

Réfléchir avec la voiture, et non contre la voiture, semble finalement être le compromis idéal pour les municipalités. D’autant plus que des solutions ont fait leur preuve. À l’image des zones de stationnement gratuites pour une durée limitée de 15 à 30 minutes à proximité des commerces, qui permettent une rotation régulière des véhicules et réduisent le trafic dû à la recherche de stationnement.

Dans le même esprit, le covoiturage et les voitures partagées sont régulièrement citées parmi les solutions pour désengorger les rues du centre-ville. Les transports en commun ont également un rôle clé à jouer. « Les navettes de centre-ville sont particulièrement en vogue, notamment auprès des populations plus âgées qui y sont très présentes », donne en exemple Anne Faure. Un constat qui vaut également pour les infrastructures du type tramway ou métro.

Plusieurs villes ont aussi fait le choix du BHNS (Bus à Haut Niveau de Service), moins couteux en termes de budget, au moins à court terme, mais surtout plus rapide à mettre en place. Des initiatives complémentaires à une utilisation plus intelligente de la voiture. « L’offre de transport en commun doit se compléter par la mise en place de parking relais », confirme Karine Engel, ex-adjointe au commerce de la ville d’Angers.

« Le parking relais est aussi une excellente idée, le problème c’est que beaucoup de municipalité communiquent mal, si bien que bon nombre d’automobilistes ne connaissent pas les avantages qu’ils auraient à l’utiliser », regrette Sébastien Bourdin. Un défaut de communication qu’Olivier Razemon attribue à un manque de volonté politique. « Parler parking, ce n’est pas très vendeur, et en plus il y a beaucoup de coups à prendre, analyse-t-il. Pourtant il y a à faire, ne serait-ce que mieux recenser les places de parking ». Un constat partagé par Franck Mussio, de l’association « Pour la sauvegarde du centre-ville de Bourges ». « Lorsque l’on fait des comptages, on observe régulièrement que des places sont libres à proximité du centre-ville, parfois même des gratuites, pourtant très peu d’automobilistes sont au courant », relate-t-il.

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La voiture condamnée à long terme ?

Reste que la voiture individuelle ne pourra plus dicter l’aménagement du territoire. Dans son rapport, le GART met ainsi en avant la nécessaire réduction du nombre de voitures par foyer : « L’objectif est de proposer des solutions de mobilité permettant aux familles d’abandonner la deuxième, voire la troisième voiture ». Pour Anne Faure, c’est une évidence, « la tendance au niveau européen va vers une réduction de la voiture en ville, on ne pourra pas revenir en arrière ».

La multiplication des ZFE (Zones à faibles émissions mobilités) un peu partout sur le territoire français, dont l’objectif non dissimulé est de réduire la circulation de voitures en ville, quand bien même électriques, en est la preuve concrète. En 2022, 11 métropoles ont ainsi mis en place une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m) : Grand Paris, Lyon, Aix-Marseille, Toulouse, Nice, Montpellier, Strasbourg, Grenoble, Rouen, Reims et Saint-Étienne. Et d’ici 2025, les 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants devront avoir instauré une ZFE-m.

Pour Franck Mussio, qui a dernièrement mené une vaste étude sur le lien entre le nombre de places de parking gratuites dans les villes moyennes et leur attractivité, cette problématique de la voiture n’est de toute façon pas essentielle. « Les villes les plus dynamiques selon la vacance commerciale établie par Procos, sont celles qui ont le moins de parking. Mais d’un autre côté, les “intermédiaires”, mais encore dynamiques, sont celles ayant le plus de parking, relate-t-il. J’en conclu que le stationnement a finalement peu d’importance sur le dynamisme commercial d’un centre ville, mais que le problème est ailleurs, à savoir l’étalement urbain et le tout voiture ».

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Alors comment tout cela va-t-il se finir ? « Il faut trouver le mix équilibré entre les différents moyens de transport, conclut Olivier Razemon. Mais avant cela il faut surtout réfléchir à l’aménagement du territoire dans sa globalité. Car tant que l’on poursuivra le développement de zones commerciales périphériques, la voiture sera toujours privilégiée, et le centre-ville ne pourra jamais rivaliser avec la périphérie pour le stationnement ». Alors avec ou sans voiture ? Aux élus de prendre les bonnes décisions en fonction des considérations locales et de l’évolution des modes de consommation.

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