Commerce : lessivé, sans espoir et sans le sou !

 « Ça fait plus d’un an que je ne peux pas me payer. Je n’en peux plus. Désolé, j’assume généralement de me prendre des taules comme de me réjouir de mes réussites dans ma carrière d’entrepreneur depuis 20 ans mais là, je craque ».

Voici le témoignage d’un bijoutier parisien, reçu en fin de soirée, ce jeudi 1er octobre 2020, et dont les ventes sont « au point mort depuis le déconfinement ». A qui la faute ? Au Covid, aux gilets jaunes, au gouvernement, à Amazon ou encore aux clients ? Ou peut-être au commerçant lui-même ? A moins que ce ne soit dû « au contexte », à un changement de modèle ou semble-t-il à la non-éligibilité aux aides, peu importe. Le résultat c’est qu’une fois encore, un commerçant ne se paye pas depuis des mois, quand certains accumulent en plus des dettes personnelles…

Quand une usine ferme et laisse des centaines de salariés sur le carreau, ça fait la une des journaux et tant bien que mal on trouve des solutions, on essaie tout du moins et surtout les gens sont payés et – même si ce n’est pas une fin en soi – bénéficient du chômage. Quand des dizaines de milliers de commerces français vacillent, puis ferment à tour de bras depuis des années, ça n’intéresse pas grand monde. Pourtant c’est le même drame économique, à la différence près que tous ces drames « se jouent » en silence, chaque jour, éparpillés sur tout le territoire et que pour les indépendants la sanction est sans appel : plus de clients, plus d’espoir et plus aucun revenu !

commerce faillite covid
Photo de Bruno Manuel, qui a photographié tout au long de l’année 2019 des façades de commerces fermés, certains depuis des décennies. En France mais aussi en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Espagne.

Notre société peut-elle ainsi abandonner ses acteurs économiques au point de les laisser sans le sou ? Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, perdre son emploi, devoir fermer son entreprise ou son commerce, tirer une croix sur des années de travail, c’est déjà une terrible épreuve. Faut-il en plus laisser tomber nos entrepreneurs dans la précarité ? A l’heure où notre société essaie de faire preuve de solidarité, n’est-il pas temps d’accorder un filet de sécurité à ceux qui ont tout misé et tout perdu. Monsieur le Président a promis aux indépendants le droit à l’allocation chômage et cette mesure est en place depuis le 1er novembre 2019, mais elle ne concerne qu’une petite partie des entrepreneurs. La plupart des indépendants qui ne peuvent pas se payer, n’ont pas droit à l’allocation chômage, car ils doivent répondre à nombre de conditions cumulatives. En clair, il faut cocher toutes les cases :

  1. Justifier d’une activité non salariée pendant une période minimale de 2 années consécutives au titre d’une seule et même entreprise. Cela revient à dire que les débuts d’activité ne sont pas assurés, alors que c’est justement dans les premières années d’une entreprise qu’il y a le plus de casse.
  2. La société doit avoir fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ou de redressement judiciaire. On attend donc que l’entreprise soit fermée pour ouvrir les droits au chômage. Un raisonnement logique sur le papier, mais qui ne tient pas dans la vraie vie d’un entrepreneur, car pour éviter la liquidation ou parce qu’il n’a plus de trésorerie le gérant ne peut, la plupart du temps, pas se verser de salaires bien des mois avant le placement en redressement judiciaire.
  3. Être effectivement à la recherche d’un emploi. Là encore, on ne tient pas compte des mois sans revenus, à tenter de redresser la barre.
  4. Justifier, au titre de l’activité non salariée, de revenus antérieurs d’activité supérieurs ou égaux à 10 000 €/an sur les deux dernières années d’exploitation. Pour certains indépendants cette condition sera remplie, mais ceux qui ont créé leur entreprise il y a 3 ans ou moins ont toutes « les chances » de se retrouver exclus du dispositif. En effet, combien de chefs d’entreprises ne se payent pas ou peu la première année ?
  5. Disposer de ressources personnelles inférieures au montant du RSA en dehors l’activité non salariée (564,78€). A noter que cette troisième condition n’est en aucun cas imposée aux autres bénéficiaires de l’allocation chômage…

Enfin, dans la mesure où vous parvenez à réunir l’ensemble de ces conditions, l’allocation sera versée pendant un maximum de six mois. Là encore, c’est bien plus court que pour les autres bénéficiaires de l’assurance chômage, pour qui la durée d’indemnisation peut aller de 24 à 36 mois.

On le voit, entre la promesse d’une allocation chômage pour les entrepreneurs et la réalité, le compte n’y est pas. En période d’activité normale, ce sont déjà des milliers d’indépendants qui n’auront droit à rien, avec des clauses aussi restrictives. Et alors que les crises se sont succédé, ce sont des dizaines de milliers de commerçants qui risquent de se retrouver comme ce bijoutier, « lessivés par les mouvements des gilets jaunes et des retraites puis terrassés par la fermeture dû au confinement ».

RESTEZ INFORMÉS SUR L’ACTU ET LES DISPOSITIFS RÉSERVÉS AUX COMMERÇANTS ET ARTISANS