Supérette autonome : complément ou concurrent du commerce de proximité ?

La startup française Boxy se targue au moyen de ses supérettes, sans aucun employé dans le magasin, de permettre aux consommateurs de faire leurs achats essentiels 24h/24 et 7j/7. Son objectif : déployer 1 000 superettes dans les zones désertées par les commerces traditionnels d’ici 2025. D’autres acteurs investissent le marché français, mais quelles seront les conséquences pour les commerces de proximité ?

« Rejoignez la révolution des commerces de proximité ! » Fort de 25 millions d’euros levés, la start-up enjoint sur son site web les collectivités locales à « demander dès maintenant l’installation de Boxy : la supérette autonome, connectée et ouverte 24/7 qui rend la proximité alimentaire enfin accessible à tou.te.s .» Une accroche qui fait mouche et un business qui fonctionne bien visiblement, avec déjà près de 30 superettes Boxy installé en Île-de-France !

Avec ses containers maritimes recyclés, la start-up entend palier au problème d’approvisionnement en produits essentiels dans toutes les zones où l’offre locale est insuffisante. « Nos formats de magasins peuvent se multiplier à l’infini et à moindre coût, explique à Maddyness Tom Hayat, co-fondateur de Boxy. Nos containers peuvent être installés partout. » Avec le déploiement prévu de 1 000 supérettes d’ici 2025, Boxy se veut aussi rassurant envers le commerce traditionnel « On veut être un commerce de proximité complémentaire. On ne veut pas remplacer les petits commerces qui peuvent déjà exister, c’est pour cela qu’on ne vend ni d’alcool, ni de fruits et légumes. »

De belles promesses, mais qu’adviendra-t-il si le business model est amener à évoluer avec l’ajout d’autres produits ou services ? Quelles conséquences pour les commerces existants s’il sont imputés d’une partie du panier des consommateurs, alors même que la plupart des gérants ont du mal à se verser un salaire ? Quid d’une commune qui offre gratuitement un local pour relancer son épicerie, quand dans le village d’à côté on installe ensuite une Boxy ? Et à l’avenir, comment relancer une épicerie de village, quand une supérette autonome y est déjà implantée et ouverte 24h/24 et 7j/7 ?

Un commerce sans âme

Des questions dont on redoute les réponses… Et, surtout des questions qui ne semblent pas être posées, ni par les collectivités locales, ni par les politiques. Boxy avance la révolution du commerce de proximité, mais on peut y voir aussi le dévoiement du principe de commerce de proximité. Sans l’humain, n’est-ce pas la particularité et l’essence même du commerce de proximité qui disparait ? Ni bonjour, ni aurevoir, encore moins de sourires ou d’échanges dans ses containers qui détournent le sens et l’ADN du commerce local. La multiplication de ce type de concepts, pourrait engendrer une Amazonisation des territoires ruraux, avec la disparition de centaines d’épiciers « à haute valeur sociale ajoutée », remplacé par quelques dizaines d’employés, techniciens et livreurs souvent peu rémunérés.

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Alors que l’Etat et les collectivités essaient non sans mal de revitaliser ces territoires, en aidant au maintien ou à la relance du commerce de proximité, doit-on laisser prospérer des concepts qui visent à ratisser large aux 4 coins de l’hexagone et à retirer ainsi du chiffre d’affaires aux commerçants. Avec ces start-up dédiés aux superettes autonomes, on va assister à l’émergence de concurrents d’envergure pour le petit commerce sur « une sélection complète des essentiels du quotidien : du frais et des conserves, des produits laitiers, de la charcuterie, des boissons, des biscuits, des basiques d’entretien et d’hygiène… », soit le cœur de métier des épiceries rurales.

Faut-il légiférer ?

Certes il y a assurément un service rendu dans certains territoires oubliés. Ainsi, à Marsac, une commune située en Charente, il n’y a plus d’épicerie depuis 15 ans et le conseil municipal vient de valider le projet d’épicerie autonome. « Comme on a des prix de supermarché, le but est d’aller au-delà du dépannage, afin que les gens prennent l’habitude d’aller faire leurs courses quotidiennes », argumente Julien Nau, co-fondateur de la start-up API qui développe un concept similaire de superettes autonomes. S’il ne faut pas, par principe s’opposer aux évolutions du commerce, encore faut-il que ces concepts permettent à la société d’évoluer collectivement, et non au détriment d’une majorité au profit de quelques acteurs en quête de valorisation boursière. Si sur certains territoires désertés il ne reste plus que ce type de solution, soit. Mais l’autorisation d’implantation devrait être donnée pour une durée de temps définie. Et, surtout, il faut que toutes les collectivités locales soient consultées, notamment les communes voisines, afin que les petites épiceries ne soient pas impactées.

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A l’heure où les orientations politiques sont d’actualité, n’est-il pas temps de légiférer sur ces changements de mode de consommation qui s’insinuent à chaque fois insidieusement dans notre société. Il y a douze ans, qui s’est vraiment ému du développement d’Amazon en France avant qu’il soit devenu… incontournable ? Y a-t-il eu débat sur la suppression de milliers d’employés qualifiés en magasin et de libraires, remplacés par des robots et des livreurs de colis ? Doit-on assister sans rien dire au déploiement de conteneurs sans vie et sans âmes dans nos territoires ? Et, d’une manière générale, combien de start-up modifient ainsi nos habitudes de vie, au point d’engendrer des « révolutions » qui peuvent en entrainer d’autres, par ceux qui sont laissés sur le côté, comme on l’a vu avec les gilets jaunes.