« 180 euros, c’est tout ce que je vaux »

Voici le témoignage poignant et sans filtre d’une commerçante parisienne. Un message qui décrit la situation alarmante dans laquelle se trouve des milliers de commerçants.

commerçante en détresse

Message reçu à la rédaction ce lundi 27 avril à 10h17

Bonjour à tous.
Attention je m’apprête à ouvrir devant vous des portes ouvertes et je suppose que beaucoup s’y reconnaîtront.

Qui croirait quand on nous voit que tout est si difficile et que ça va si mal ? Les clients pensent que comme j’ai une jolie boutique, je suis RICHE. Alors que je suis comme tant d’autres, seule face à tout. Tout le temps. Toute l’année.
Les affaires n’étaient déjà pas formidables, avant depuis les attentats – je suis à Paris – c’était déjà devenu de la survie. Je tenais jusqu’au Noël prochain en espérant des jours meilleurs. Il faut faire un site internet, et oui qu’est ce que j’attends. C’est ce que tout le monde me dit. Sauf que tout le boulot que représente déjà une boutique en étant seule, c’est déjà énorme. Pas de week-end, pas de vie sociale, tout juste une vie privée.
Et supporter les risques que je prends avec les commandes en février – mars pour des ventes hypothétiques en janvier de l’année suivante, le stock des invendus.

Que dire des contrôles fiscaux – chanceuse, j’en ai eu que deux – je vous raconte : Le premier après 10 ans d’activité, il parait que c’est normal, mais mon comptable m’a quand même donné des conseils pourris et ça a bien énervé l’inspecteur sur mon cas ! Et le second (je dis second car je ne supporterai pas un troisième !) parce que je ne suis pas carrée-carrée avec les versements de TVA, toujours faits mais pas toujours en temps et en heure. `
Bon allez j’avoue je suis une méga-grosse-tricheuse, j’ai des comptes partout dans les paradis fiscaux et j’optimise grave fiscalement. Mais bien sûr. Vous pensez bien !
“Mais comment faites-vous pour manger Madame”, m’a demandé un “aimable et compréhensif” fonctionnaire de l’administration fiscale. “J’ai un mari sympa qui m’aide” lui ai-je répondu. Vous auriez dû voir sa tête, c’était presque drôle.
Ah oui, autre anecdote assez rigolote. Je vends des jouets, entre autre. Donc à Noël, il y a plein de mômes, de parents, de grand-parents, de familles au comble de la joie et de l’excitation… et là arrive l’agent de l’État pour le contrôle fiscal. Mon cœur s’est arrêté de battre. Un 24 décembre. En plein folie de paquets cadeaux… le client que je servais m’a vu pâlir et m’a proposé son aide. L’horreur. Et l’autre est resté planté là, m’apportant un plis à remettre en main propre, jusqu’à ce que la boutique se vide. Mon cadeau de Noël.

Certes, il ne peut pas comprendre, lui, ce que c’est d’avoir passé 15 ans de sa vie dans une boite chronophage et qui ne me permet même pas de manger, mais pour laquelle je fais tout mon possible et même plus. Sauf que c’est ma boite, que c’est là que j’ai rencontré mon chéri, que j’y ai tellement de souvenirs avec tellement de gens, que je n’arrive pas à l’enterrer et qu’années après années, je me bats. Alors certes, je ne suis pas douée – surement c’est ça – mais tous les jours on s’émerveille de venir “chez moi” et ça me fait tenir. Et j’essaie de m’améliorer.
J’ai coutume de dire que si chaque personne qui me dit que ma boutique est magique me faisait l’aumône d’un euro, je serai moins pauvre.

Autre chose. Je suis INVISIBLE aux yeux de l’État. J’ai droit au minimum du minimum de l’aide accordée aux petites entreprises. C’est tellement peu que j’en ai HONTE. Et par la région rien car je n’ai pas de salarié. Pourtant j’aimerai tellement avoir un salarié !!!
Sauf qu’à mieux y regarder, je paie parfois des impôts, je RÉCOLTE et reverse de la TVA et donc je travaille tous les jours gratis pour l’État, je fais vivre des entreprises en achetant leurs marchandises et services, et je suis à jour de toutes mes factures, je suis un rouage de l’économie, de la vie de ma rue, de ma ville.

Alors, aujourd’hui, je ne sais plus. Je reçois cette aumône de 180€ (ndlr : il s’agit de l’indemnité de perte de gains, modulable en fonction du niveau de cotisations de chacun au régime de retraite complémentaire des indépendants).
Est-ce un genre de “pour solde de tous comptes”. Je m’interroge.
Peut-être Monsieur le Ministre.
J’habite au sixième étage, mon chéri est sorti pour son job, et il n’y a qu’un pas pour que tout s’arrête.

Ma vie de travail ne vaut que 180€ car je ne verse pas beaucoup de cotisations et le reste, TOUT LE RESTE ne compte pas.