Les centres-villes seuls contre tous

Une étude de la fédération Procos montre une nouvelle hausse de la vacance commerciale dans les centres-villes français en 2016. Une situation d’autant plus préoccupante que dans le même temps, les promoteurs immobiliers continuent leur course à la construction de surfaces commerciales en périphérie des villes. 
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Il paraît loin le temps où les centres-villes concentraient l’essentiel de l’activité commerciale du pays, avec de beaux bâtiments publics, le marché où les citoyens faisaient leurs achats alimentaires et des commerçants indépendants aux emplacements numéro 1. C’était il y a 50 ans. Depuis, la course au gigantisme commercial n’a cessé de s’amplifier, sous l’impulsion de promoteurs immobiliers aux budgets colossaux, soutenus par des grandes enseignes à la recherche de vastes espaces de vente. Conséquence logique, la vacance commerciale en centre-ville n’a cessé d’augmenter, pour atteindre 9,5% en 2016 (8,5% en 2015), selon une récente étude de la fédération Procos.

Des villes inégalement touchées

L’étude de Procos montre également que la situation des centres-villes français apparaît très contrastée en fonction des agglomérations. Pour celles de moins de 50 000 habitants, la vacance progresse ainsi de + 1,8%, passant de 9,3 % en 2014 à 11,1 % en 2015. Même constat pour les cœurs de villes de 50 000 à 100 000 habitants, avec une vacance chiffrée 11,3 % (+1% en 2015). Une situation bien connue par les commerçants et associations de ces plus petites communes. « Les clients n’ont plus l’habitude de se rendre en centre- ville, on a entre 12 et 14 % de cellules vides dans le centre de Douai, qui compte 45 000 habitants », témoigne Sylvie Debreyne, présidente de l’Union des Commerçants de Douai. Même impression à Nantes, où Christine Gourhel, du cabinet immobilier Arthur Loyd confirme qu’elle « n’a jamais eu autant de locaux vacants ». Un phénomène de désertification qui touche d’ailleurs de plus en plus les villes de taille intermédiaire. Toujours selon Procos, dans les cœurs d’agglomération de 100 000 à 250 000 habitants, la vacance progresse elle aussi de 0,5 point, passant de 8,7 % à 9,2 %. Au final, seuls les centres-villes de très grandes villes sont aujourd’hui épargnés. Dans les cœurs d’agglomération de plus de 500 000 habitants, la vacance commerciale se maintient ainsi à 6 %.

Les centres commerciaux pointés du doigt…

Si les raisons expliquant la désertification de nos centres-villes sont multiples (sujet que nous aborderons régulièrement dans L’Echommerces), la course engagée par les promoteurs immobiliers dans la construction de toujours plus de m2 est l’un des facteurs les plus aggravant. « Plus récemment, la vacance commerciale semble davantage résulter d’une crise de surproduction de surfaces de vente confirme justement Procos dans son étude. Depuis les années 2000 en France, le parc de surfaces commerciales croit en effet à un rythme plus rapide que celui de la consommation. Ce parc a progressé de 3 % par an alors que dans le même temps, la consommation n’a progressé que de 1,5 % par an » poursuit Procos. « En France, la politique d’urbanisme commercial s’est bâtie sans un cadre réglementaire définie et a ainsi laissé libre champ aux envies de construction des promoteurs immobiliers », justifie Francis Palombi, président de la Confédération des Commerçants de France. Les grandes enseignes y trouvent leur compte, la multiplication des surfaces commerciales étant essentielle pour écouler leurs gros volumes de production importés des pays à bas coûts. Des implantations souvent facilitées par les élus locaux, « très friands de ces projets qui boostent les recettes fiscales et créent des emplois », ajoute Francis Palombi. Et ce alors même que plusieurs études ont démontré que pour un emploi créé en grande distribution, le plus souvent précaire et à faible valeur ajoutée, ce sont entre 3 à 5 emplois durables qui sont détruits par ailleurs (sur ce sujet, voir notamment le livre Les coulisses de la grande distribution, par Christian Jacquiau).

Lire aussi : Immobilier commercial, une bulle prête à exploser ?

… Et victime de leur propre ambition

En effet, le trop plein de surfaces commerciales apparaît depuis quelques années au grand jour. La vacance commerciale dans les centres commerciaux a ainsi littéralement explosé ces dernières années, passant de 4,6% en 2012 à 8,75% en 2015, selon la dernière étude publiée par Codata. Une donnée préoccupante, surtout qu’entre 2001 et 2013, la vacance n’avait augmenté que de… 0,3% ! Un argument supplémentaire pour les détracteurs des centres commerciaux, d’autant plus qu’en moyenne, le taux de vacance se situe autour de 10 % pour les centres bâtis dans les années 2000, contre 5 % pour ceux des années 1970. Codata met également en évidence un autre point : seul les centres commerciaux de + de 100 enseignes sont épargnés par ce phénomène, puisque leur pourcentage de locaux vacants se situe toujours en dessous des 6%. Un chiffre qui contraste avec les 16,4% d’inoccupation pour les petits centres, de moins de 15 points de vente. Pourtant, la frénésie constructrice ne semble pas désemplir.

Evolution du taux moyen de vacance commerciale dans les centres villes en France (%), selon Procos.
Evolution du taux moyen de vacance commerciale dans les centres villes en France (%), selon Procos.

Des autorisations en baisse… mais toujours plus de centres commerciaux

Dans ce contexte, il apparaît évident que la course au m2 des promoteurs immobiliers doit absolument cesser. « Autrement, on se retrouvera dans une situation similaire aux Etats-Unis, avec des malls complétement abandonnés » prévient Pierre Creuzet (lire son interview), fondateur de l’association Centre-Ville en Mouvement. Une revendication manifestement pas encore entendue, car même si la croissance des constructions ralentit, des millions de m2 supplémentaires sortent du sol français d’année en année ! Une autre étude de Procos met d’ailleurs ce phénomène en évidence : « le volume de surfaces de plancher commercial autorisé à travers les permis de construire a diminué de 7 % en 2015, pour atteindre son niveau le plus bas – 4,8 millions de m² – depuis ces quinze dernières années ». Selon les données de Codata, au seul premier semestre 2016, 16 nouveaux centres commerciaux ont ouvert leurs portes ! Et côté projets pour le second semestre, ce ne serait pas moins de 18 centres commerciaux qui auraient vu le jour, soit en création, soit comme une extension d’un projet préexistant. Aucun autre pays européen ne fait mieux aujourd’hui, que ce soit l’Allemagne (5), l’Espagne (8), ou même l’Italie (15). Enfin, pour couronner le tout, d’après le site d’informations Toute la franchise, entre 2017 et 2020, 17 projets de créations de nouveaux centres commerciaux sont annoncés, soit un peu plus de 940.000 m² supplémentaires !

Les Retail Park ont toujours la côte

Cette accumulation des m2 carrés sur notre territoire est d’autant plus inquiétante qu’en parallèle, les promoteurs immobiliers multiplient également les projets de Retail Park, terme utilisé pour désigner les centres commerciaux à ciel ouvert. En témoigne la toute récente étude du cabinet Cushman & Wakefield, qui évalue à 6 millions de m2 la construction de Retail Park sur le sol français depuis les années 1990. Et même si celle-ci explique que la production de ces formats « a atteint son rythme de croisière », elle estime quand même que « 420 000 m² de nouveaux Retail Park ont été identifiés comme ayant déjà ouvert ou pouvant l’être d’ici la fin de l’année ». Et là encore, l’Hexagone apparaît en pointe dans ce domaine. « En 2016 et 2017, près de 2,4 millions de m2 de nouvelles surfaces de Retail Park verront le jour dont 46% en France, 15% au Royaume-Uni et 9% en Italie comme en Russie » relate l’étude de Cushman & Wakefield. « Les promoteurs immobiliers ne bâtissent pas dans une logique entrepreneuriale mais d’investisseur, privilégiant la rentabilité financière à court terme, regrette Morgane Kerninon, manager de centre-ville. Pour contenir l’expansion des surfaces commerciales, les décideurs locaux doivent agir en amont, notamment en définissant des contraintes à l’expansion dans les documents d’urbanisme. Les recours en CDAC et CNAC ne peuvent pas tout. »

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Au tour des Centres de marques ?

Centres commerciaux, Retail Park et maintenant Villages de Marques. Si ce dernier format n’est pas encore très développé en France (28 centres de marques dans l’Hexagone) comparativement à ces voisons européen, la donne pourrait changer d’ici les prochaines années. Ces magasins d’usines et villages représentent à l’heure actuelle 3% du parc commercial français, selon le cabinet spécialiste en immobilier JLL. Mais pas loin de 18 centres seraient en cours ou en voie de construction ! Et ce alors même que selon Marc Nécand, Co président du Collectif National contre les Centres de Marques, « la fréquentation et le chiffre d’affaires de nombreux de ces villages ne sont pas au mieux ». Toujours d’après les données du CNCCM, « 11 cellules viennent de fermer à Franconville (disparition non remplacée à ce jour des enseignes : Ventilo, Atelier des Créateurs, Bata : 3 sociétés en liquidation, Eden, Zapa, Sym, Bony Doon…) et 9 à l’ile Saint Denis : (Armor Lux, Eminence, Princesse TamTam, Dardjeling, Ventilo, Zapa, Mac Douglas). » Les autres centres ne sont d’ailleurs pas en reste selon Marc Nécand : « lors de mes récentes visites dans les centres de marques de Franconville (95) et de l’Ile Saint Denis (93) j’ai pu constater un grand nombre de cellules fermées, ce qui n’avait jamais été constaté dans le passé (une douzaine sur 80 cellules dans chacun de ces centres). De même le centre One Nation aux Clayes sous-bois (78) est loin d’avoir fait le plein en termes d’enseignes. Quant au dernier né à Aubergenville (78) plusieurs responsables de boutiques m’ont fait part de leur inquiétude. » Dans ce contexte, difficile alors de ne pas s’interroger sur la nécessité de construire toujours plus de villages de marques sur notre territoire…

A voir : La face cachée des magasins d’usines

Des initiatives locales pour sauver nos centres-villes

Face à cette situation très préoccupante pour les commerçants de centre-ville, la réponse des pouvoirs publics se fait attendre. Et pour le moment, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas à la hauteur ! Au mois d’octobre 2016, le gouvernement a ainsi annoncé que « 1 million d’euros sera mobilisé pour lutter contre la désertification commerciale d’un certain nombre d’agglomérations de taille moyenne ». Pour comparaison, selon Cushman & Wakefield « plus de 500 millions d’euros ont été investis chaque année en moyenne entre 2005 et 2015 sur le marché français des parcs d’activités commerciales ». Soit 5 milliards d’euros en 10 ans ! Pour sauver nos centres-villes, les solutions sont donc davantage à chercher parmi les initiatives prises au niveau local, tant par les acteurs privés que publics. Que ce soit à Lorient, où les commerçants envisagent d’ouvrir entre midi et 14 heures, à Soissons, qui a décidé de taxer les propriétaires de locaux vacants pour inciter à la baisse des loyers, ou encore dans le petit village de Dordogne de Saint-Pierre de Frugie, qui revit grâce au bio, des actions à succès sont entreprises un peu partout en France. Mais ces dernières ne peuvent pas tout, d’autant plus que dans le même temps, les promoteurs immobiliers ne cachent pas leur ambition. « Le commerce de centre-ville est notre principal concurrent, affirme Jean Marc Jestin, le nouveau président du directoire de Klépierre (promoteur immobilier), à Les Echos, mais c’est aussi un baromètre. Si le commerce y est florissant, nous pouvons y aller. Sinon, ce n’est pas la peine d’espérer recréer une dynamique qui n’existe plus. » Un discours très inquiétant car au-delà de l’aspect commercial, ces villes qui ont “perdu“ leur dynamisme, représentent aussi une certaine idée de la culture et du patrimoine français. La situation est très préoccupante, et les lanceurs d’alertes sont de plus en plus nombreux, à l’image d’Olivier Razemon dans son dernier livre Comment la France à tué ses villes, ou encore Sylvain Tesson avec son ouvrage Sur les chemins noirs.  On attend donc aujourd’hui la réaction des pouvoirs publics.

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