EuropaCity – La grande illusion
Dans le Triangle de Gonesse, au nord de Paris, la construction d’un immense centre commercial et de loisirs crispe les tensions. Car derrière les promesses d’emplois créés et les millions de visiteurs espérés, c’est notre modèle de société qui est en jeu.
3,1 milliards d’euros investis, 230 000 m2 de galeries marchandes, 2 700 chambres d’hôtels, des salles de spectacle, un cirque, un parc d’attraction de 50 000 m2, un parc aquatique avec surf et spas, et même des pistes de ski d’intérieur – façon Dubaï – le projet EuropaCity en jette plein la vue au premier coup d’œil. Pourtant, on ne compte plus les opposants au projet tellement ils sont nombreux : écologistes, associations de commerçants, citoyens, élus des communes avoisinantes… Et pour cause, derrière les belles promesses, les risques économiques, écologiques et territoriaux sont bel et bien concrets, eux !
Le fameux argument des emplois créés
Comme pour chaque projet de grande ampleur, les emplois créés sont mis au-devant de la scène pour convaincre les différentes parties prenantes à la décision, et calmer les ardeurs des opposants. Pour EuropaCity, les investisseurs les estiment à 11800 nets, pour 31 millions de visiteurs à l’année, soit le double de Disneyland Paris, première destination touristique d’Europe ! C’est dire de l’ambition et de l’optimisme du promoteur immobilier. Un chiffre déjà revu à la baisse par Arnaud Degorre, un expert nommé par la CNDP (Commission National du Débat Public), qui estime que 8000 emplois nets seront créés. Mais là encore, rien n’est certifié. C’est en tout cas l’analyse, de Jacqueline Lorthiois, une socio-économiste qui a travaillé dans plusieurs ministères.
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Lors d’un entretien accordé à Mediapart, cette dernière rappelle ainsi qu’aucune promesse de création d’emploi par de grands projets n’a jamais été tenue. Ce fut le cas par exemple pour Paris Aéroport (Roissy et Orly), qui promettait 70000 emplois lors des études prévisionnelles en 1975, contre finalement 18000 postes enregistrés en 1978. Même constat pour Disneyland Paris, qui a ouvert ses portes en 1992, et assurait à cette époque la création 100 000 emplois. A l’heure actuelle, on n’en recense pourtant que 15 000… Des précédents qui laissent ainsi planer quelques doutes sur la communication actuelle d’EuropaCity. D’autant plus que comme tout centre commercial, le projet réservera ces places à des grandes enseignes internationales. Et quand on sait que de nombreuses études estiment que pour 1 emploi créé en grande distribution, entre 3 et 4 sont détruits par ailleurs, notamment dans le petit commerce, l’argument de l’emploi pour justifier la construction d’EuropaCity a de plus en plus de mal à tenir. Des emplois le plus souvent précaires par ailleurs, car à faible valeur ajoutée. A mettre en comparaison avec ceux créés par les commerçants indépendants, qui investissent souvent beaucoup de temps pour former leurs salariés et leur apporter de véritables compétences.
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Friches commerciales et menace sur le commerce indépendant
Si on ne peut évaluer exactement son impact sur l’emploi , une chose est certaine, EuropaCity aura des répercussions négatives sur les commerces des centres-villes aux alentours, mais aussi des… centres commerciaux avoisinants. « Nous avons déjà les centres commerciaux d’O’ Parinor et d’Aéroville tout proches, explique Bernard Loup, co-Président du Collectif pour le Triangle de Gonesse, qui regroupe les opposants au projet. Avec EuropaCity, il n’est pas certain que ces centres continuent d’être attractifs. » Une crainte exprimée également dans le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGED), commandé par la ministre du Logement Emmanuelle Cosse. Dans ce rapport, 4 scénarios sont envisagés, et pour 3 d’entre eux, le risque de création de friches commerciales est très important. Seul le 4ème scénario écarte cette hypothèse, mais c’est seulement parce qu’il prévoit qu’EuropaCity ne voit pas le jour… Une conséquence qui n’effraie pourtant en aucun cas le Préfet d’Ile-de-France, Jean-François Carenco, qui a fait une intervention remarquée sur le projet EuropaCity lors du Hub du Grand Paris le 7 mars 2016. « Une mort certaine… des équipements qui ne seront pas valables après 2030… la construction d’EuropaCity n’y changera rien », ce sont les mots qu’il utilise pour décrire l’avenir d’O’ Parinor et Aéroville, ce dernier centre n’ayant pourtant ouvert qu’en… 2013.
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La construction d’une nouvelle zone commerciale constituerait par ailleurs une réelle menace pour le commerce indépendant de centre-ville. Les commerçants locaux n’entendent d’ailleurs pas se laisser faire et ont ainsi déposé au mois de novembre 2016 un recours gracieux dans le but de bloquer le projet. « Les pouvoirs publics français doivent prendre des mesures pour stopper la course en avant dans la construction de toujours plus de m2, rappelle par ailleurs Francis Palombi, président de la Confédération des Commerçants de France. Il en va de la survie des commerçants indépendants, qui sont aujourd’hui le poumon de nos centres-villes et du lien social qu’ils apportent ». Un constat partagé dernièrement par Olivier Razemon dans son ouvrage Comment la France a tué ses villes. Ce dernier estime que la surconstruction de zones commerciales a une grande responsabilité dans la désertification des villes moyennes. Un phénomène qui, à terme, fait peser un grand risque sur la diversité de nos territoires, son patrimoine, ses cultures…. « On vide les centres-villes, on crée des cités dortoirs, des villes mortes. On renforce le côté banlieue qui fait fuir les gens », regrettait déjà en 2013 Alain Amédro, co-Président du collectif pour le Triangle de Gonesse, dans lemonde.fr.
Un risque écologique
Au-delà de l’aspect commercial, c’est aussi une bataille pour l’agriculture qui se joue dans le Triangle de Gonesse. Le chantier d’EuropaCity s’inscrit en effet dans une zone d’aménagement concertée (ZAC), qui projette en tout d’urbaniser 280 hectares ! « Les terres agricoles de cette région sont parmi les plus fertiles du monde, c’est notre devoir de les défendre, explique aujourd’hui Bernard Loup. Le schéma régional adopté en 2013 prévoit d’augmenter l’autonomie alimentaire de la région, or la création de la ZAC du Triangle de Gonesse va à l’encontre de cette démarche », poursuit-il. Une revendication partagée également par la chambre d’agriculture d’Ile de France, qui explique sur son site le danger de la disparition des terres agricoles : « 100 000 hectares de terres fertiles ont disparu en l’espace de 50 ans au profit de l’expansion parisienne ! Ces dernières années, ce sont 2 000 hectares de terres agricoles qui sont transformées chaque année en espaces urbains. Plus que jamais, le défi de la région est désormais de préserver un équilibre environnemental ainsi qu’un cadre de verdure appréciés par les citadins. »
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Un projet révisé, mais toujours contesté
Face aux très nombreuses critiques émises sur le projet, et notamment suite au rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le promoteur immobilier a été contraint de revoir sa copie. La forme architecturale pourrait ainsi être modifiée. « L’image est aujourd’hui plus proche de celle d’un bâtiment refermé sur lui-même que d’un quartier, or c’est un morceau de ville qu’il faut développer sur 80 hectares, plus ouvert vers le territoire », a confié à Les Echos David Lebon, élu à Chartes, qui vient tout juste de prendre la direction d’Alliages et Territoires (filiale d’Immochan – groupe Auchan – en charge de développer le projet). Mais rien de concret ni de définitif n’a pour autant été décidé. « Le parc des neiges ne sera maintenu que s’il satisfait aux exigences environnementales du projet de produire sa propre énergie et d’être autosuffisant en eau », a également indiqué David Lebon. Ce dernier reste tout de même convaincu que la construction de pistes de ski artificielles est nécessaire. « Toutes les capitales en ont un et c’est un gage d’attractivité ». Et nous qui pensions que les touristes choisissaient de se rendre à Paris pour visiter la Tour Eiffel, se balader sur les Champs-Élysées ou encore goûter aux délices de notre gastronomie… Les touristes n’auront ainsi plus besoin de découvrir les Alpes et fi de tartiflettes, un Mc Do ou un Burger King suffiront, God bless Europa* !
Pour aller plus loin :
Bienvenue à EuropaCity un grand projet imposé à quelques kilomètres au nord de Paris
Pourquoi le Grand Paris n’a pas besoin d’EuropaCity
Les centres-villes français seuls contre tous
ITW- Olivier Razemon, « Comment la France a tué ses villes »
Signer la pétition contre EuropaCity
*God Bless America est une chanson patriotique américaine, composée par Irving Berlin en 1918 et souvent considérée comme l’hymne national officieux.
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